Le rôle que la famille souhaiterait prendre dans la prise en charge
Introduction
Pourquoi ce sujet ?
L’idée de départ était de soumettre à l’ensemble
des familles, par l’intermédiaire du Conseil de la Vie Sociale,
des choix de thèmes de réflexion, mais les résultats de
l’enquête n’ayant pas abouti dans les temps, le choix de ce
sujet a été fait par les professionnels de façon , reconnaissons-le,
moins démocratique. Mais précisons d’ores et déjà,
que parmi ceux proposés, celui de la sexualité fera l’objet
d’une autre réunion d’ici la fin de l’année
2009, pour répondre aux questions que parents et professionnels se posent
sur l’aide à apporter aux jeunes adultes, dans cet aspect délicat
de l’accompagnement. Une réunion sur ce thème a déjà
eu lieu l’an dernier ; cette année, l’idée de faire
appel à un intervenant extérieur spécialisé vise
à ouvrir et enrichir le débat sur cette question, et le projet
de reconduire la réflexion sur ce même thème environ tous
les trois ans permettra aux parents de nouveaux arrivants, de pouvoir y participer
à leur tour.
La place de la famille dans la prise en charge avait déjà été
un sujet abordé lors d’une précédente réunion,
mais ne nous avait pas paru très satisfaisante dans la mesure où
il ne s’agissait que du point de vue de l’équipe, avec la
présentation du projet d’établissement.
Dans cette réunion-ci, l’objectif est d’avoir le point de
vue des parents sur la place qu’ils souhaiteraient occuper. Nous souhaitons
que les familles se sentent autorisées à dire ce qu’elles
pensent, en terme de critiques positives et négatives afin que nous,
professionnels, puissions éventuellement réinterroger nos pratiques
et réfléchir à notre travail. C’est la raison pour
laquelle une large participation des parents à ces réunions –
que l’on souhaite bi annuelles- est plus que nécessaire pour ouvrir
un maximum d’espace de parole et d’échange avec l’équipe,
et pouvoir travailler en collaboration avec les familles, tout en sachant préserver
la place de l’usager, bien entendu.
Si l’on fait référence au Conseil de la Vie Sociale, cela
va tout-à-fait dans le sens de la loi elle-même, puisqu’elle
reconnaît et donne un vrai rôle consultatif aux parents dans l’accompagnement
de leur enfant, au sein de l’institution.
Rappelons également, cet autre espace de parole que représente
le journal du site Adappro, que seul, pour l’instant , le directeur utilise,
tout en souhaitant que les familles puissent se saisir de ce nouveau moyen de
communication.
Les différentes interventions
• L’ arrivée à AD’APPRO : un écart
trop important
Lorsque le jeune est admis dans l’établissement, les professionnels
veulent lui signifier d’emblée son changement de statut : il passe
de l’adolescence à l’âge adulte, et sera sollicité
en tant que tel à savoir en tant que responsable de sa prise en charge
et acteur de son projet.
A ce niveau, certains parents se disent déstabilisés dès
l’entrée de leur enfant dans la structure. Habitués par
les autres institutions à ce que toutes les décisions passent
par eux, les parents ont du mal à se situer vis-à-vis des professionnels
et de leur enfant, celui-ci n’ayant qu’une autonomie partielle.
Selon eux, les règles du jeu, au démarrage de la prise en charge,
ne sont pas suffisamment énoncées clairement, et apparaissent
floues au niveau des parents.
Le fait est que les parents passent de périodes où le jeune est
beaucoup plus encadré par l’établissement ( IME, IMP etc.)
à une période où l’échange se fait plus directement
avec le jeune ( ex : messages, courriers, papiers administratifs etc. ).
« C’est vrai que c’est antinomique par rapport à ce
qui se faisait jusqu’ à présent » rajoute une mère.
•
Une certaine inquiétude des parents
Le fait de laisser au jeune, le libre choix de son acceptation pour une admission,
( téléphone, écrit, visite ) a fait craindre chez les parents,
que leur enfant s’y prenne mal et « qu’il rate l’entrée
»
A cette occasion le directeur rappelle que cette démarche est surtout
symbolique mais qu’elle vise à donner à l’adhésion
du jeune, toute son importance.
•
... au départ
Une mère confirme cette impression de départ, mais a pu constaté
par la suite, que les choses devenaient plus claires ; cependant, elle exprime
sa difficulté à répondre à la question posée
et souhaiterait connaître ce que les professionnels eux-mêmes attendent
des parents : « que souhaitez-vous des parents dans leur rôle pour
conduire nos enfants vers l’autonomie ? Qu’attendez-vous de nous
? »
•
...mais pas pour tous
Une autre mère intervient pour préciser que de son côté,
elle n’a pas eu besoin de chercher ses marques et que les choses lui sont
apparues claires dès le départ. En revanche, elle aussi se sent
mal à l’aise pour répondre à la question : «
comment répondre, alors qu’on nous dit d’entrée, de
laisser de l’espace à nos enfants, et de nous effacer ? Les choses
sont établies de telle sorte que les parents, même s’ils
voulaient obtenir quelque chose n’en auraient pas la possibilité
». Selon le point de vue de cette mère, ce qui manque c’est
: « davantage d’explications sur le système institutionnel
; nous ne savons pas quoi demander si on ne nous dit pas toutes les possibilités
sur nos enfants et nous ne sommes pas professionnels pour faire un choix ou
aider. Peut-être qu’avec plus d’informations, nous pourrions
faire un bout de chemin avec vous sans être trop envahissants ? Il y a
une limite qui est difficile à trouver. »
•
Une réassurance nécessaire
En discutant avec d’autres parents, un père nous confirme leurs
inquiétudes car ils disaient ne pas savoir « où ils mettaient
les pieds ». Les parents ont besoins d’être rassurés
par la discussion, lorsqu’ils ont une explication sur le sens de la démarche
- et ce, particulièrement quand le jeune a du mal à s’exprimer
puisque la relation, au début, se passe entre vous et lui, et non plus
entre vous et nous.
Il ne faut pas perdre de vue que les parents ont toujours besoin d’être
sécurisés ; c’est ce que confirme un autre père :
» les parents ont toujours à affronter des situations en montagnes
russes ». En effet, pendant trois ou quatre ans, le temps d’une
prise en charge, les parents sont tranquillisés, cette période
calme leur faisant craindre par ailleurs, de donner l’impression aux professionnels
« de s’endormir sur leurs lauriers ».
•
Une difficulté à se situer
Un père se demande à quelle logique obéit la présence
ou l’absence des parents pour accompagner les jeunes lors de sorties extérieures
avec les éducateurs. En effet, il est arrivé qu’on fasse
appel à eux à un certain moment ( ex : sortie de hockey à
la patinoire) et il constate que d’autres sorties ont eu lieu, mais que
les parents n’ont pas été sollicités ; il s’est
alors demandé s’il s’agissait d’ « un appel au
secours ». Cela lui évoque l’élastique du jeu de joccari
sans trop savoir si ce que les parents font va servir la démarche pédagogique,
ou si ils vont s’y trouver en contradiction. « C’est déstabilisant,
mais peut-être n’échangeons –nous que sur ce qui ne
va pas, et pas suffisamment sur les questions positives ».
•
Un mal nécessaire
Une mère se montre plus nuancée : « c’est vrai que
du jour au lendemain, on demande à l’adulte de téléphoner
pour donner sa décision et c’est un choc ; mais n’est-ce
pas un choc salutaire ? » Elle précise qu’elle n’a
jamais rencontré de soucis pour dialoguer et estime avoir été
suffisamment au courrant : « bien entendu, nos enfant n’ayant qu’une
autonomie partielle, nous avons notre mot à dire dans les choix qu’ils
font. ».
Un éducateur reprécise la volonté des professionnels de
considérer les jeune adultes comme sujet
•
Les effets sont là
Un père reconnaît que les sorties proposées en dehors d’Ad’Appro
(hockey, boom etc.) seraient passées par les parents dans les institutions
précédentes. A partir où elles sont organisées à
partir d’Ad’Appro,, cela permet au jeune, de faire son propre choix
et de disposer d’un espace pour dire « non », et cette situation
est nouvelle (ex : soirée techno).
Cependant, rajoute l’éducateur, il ne faut pas non plus s’en
tenir à leur refus. Certains jeunes ont besoin d’être sollicités
et invités à « goûter » avant de choisir.
Une mère convient que cette organisation autour des loisirs est plutôt
un bien, mais une autre question est soulevé : lors de problèmes
administratifs auxquels son fils a été confronté (tutelle)
exprime sa surprise de ne pas avoir été tenue au courant, alors
qu’elle aurait pu facilement régler le problème.
•
Parents et professionnels : une implication différente
Le directeur souligne que les parents ont toujours connu leurs enfants, tandis
que les professionnels interviennent à un moment de leur parcours et
ont ainsi « l’avantage de pouvoir d’emblée les nommer
« adultes » même si nous avons conscience qu’ils n’en
ont pas toutes les capacités, c’est-à-dire d’ être
responsables de tous leurs actes . Mais nous, nous travaillons sur des faits
et tentons des expériences.
Les professionnels entendent bien , en effet, que ce qui est demandé
aux parents est brutal lorsqu’on leur signifie que ce n’est plus
à eux qu’on s’adresse mais à leur jeune adulte.
« c’est pourtant notre volonté d’ aller chercher en
priorité l’avis du jeune et de lui apprendre à se positionner
dès la demande d’admission » .
Il en va de même pour cet outil éducatif que représente
le contrat d’aide que le jeune a le choix de montrer ou pas à ses
parents , un espace « observation de la famille» leur étant
réservé. Le fait que le jeune ait les moyens ou pas de comprendre
totalement ou partiellement ce dont il s’agit, n’enlève rien
au bien fondé de ce principe, les professionnels partant de
l’hypothèse qu’il en saisit le sens, ce qui rend précisément
la démarche autonomisante et va l’amener vers plus d’autonomie.
« C’est en s’adressant aux jeunes comme des adultes, qu’ils
finissent par le devenir ».
•
Parents et professionnels : une nécessaire collaboration
Ceci dit, la raison d’être de cette réunion témoigne
de notre souhait de travailler avec les familles, et ce, dans l’intérêt
de l’usager : en effet, on sait que travailler avec les famille, voire
contre les familles (ce qui peut arriver parfois) lui évite de se retrouver
dans une ambivalence qu’il ne sera pas capable de gérer.
Or, nous avons une mission sur 3 ans (parfois renouvelable) et dans cet espace,
on défend avant tout l’autonomie de l’usager, parfois même
au-delà de la peur des parents dont le réflexe –et c’est
bien normal- est toujours de protéger leur enfant. Du fait même
de nos différences de place, l’usager ainsi stimulé et qui
réussit, est le plus souvent amené à prouver d’abord
ses capacités aux parents qui réalisent, après coup et
parfois surpris, les possibilités de leur enfant, alors qu’ils
s’étaient plus ou moins résignés, ou ne croyaient
pas qu’il pouvait aller plus loin, puisque que la peur empêchait
d’ expérimenter. Du même coup, l’usager lui aussi se
découvre des capacités nouvelles qu’il ignorait jusque là.
Mais cela ne peut se faire qu’au prix de bousculer l’équilibre
installé, d’une façon qui peut parfois paraître brutale,
si elle va contre l’avis des parents ( ex : mise en place d’une
curatelle). Il n’est pas ici question de jugement et les professionnels
sont mal placés quand ils n’ont pas d’enfant handicapé
: les parents , eux, ont eu leur enfant 20 ans avant nous et l’auront
longtemps après nous, et il est tout –à- fait légitime,
face à ce qui peut paraître violent, d’éprouver de
la colère ou du ressentiment.
•
Le devoir d’informer
Une mère intervient : « ce n’est pas le fait d’être
en colère, mais de pouvoir participer quand il y a des décisions
importantes et nous , parents, aimerions être informés des dispositions
que l’on prend pour nos enfants, c’est la moindre des choses et
c’est le respect des parents ; même s’il y a désaccord,
les parents doivent être avertis afin qu’ils ne soient pas mis devant
le fait accompli ». Une autre mère rajoute que les informations
transmises par son fils ne sont pas toujours exactes et peuvent même être
à l’opposé de ce qui a été dit. « à
partir de là, on nage et on ne sait plus quoi faire » .
Selon le directeur, cette situation évoque la position de l’adolescent
vis-à-vis de ses parents, et situe ce rapport parents / professionnels
de la même manière, à savoir que les parents ne se sentent
jamais à la bonne distance : « s’ils sont trop loin, le jeune
va le leur reprocher, et s’ils sont trop près, il va les repousser
» . Les professionnels se trouvent engagés dans cette même
dynamique vis-à-vis des parents : « tantôt nous sommes amenés
à faire appel à eux s’ils sont trop éloignés,
tantôt nous chercherons à mettre de la distance et laisser un espace
à l’apprentissage, si l’on constate une trop grande proximité.
»
•
Quels types d’informations ?
En ce qui concerne les décisions importantes, telle que la demande de
tutelle , elle peut être préconisée par l’établissement
ou par quiconque qui le demande, mais la décision appartient au juge,
après avis des intéressés. Cela étant, les professionnels
soutiennent la mise en place d’une curatelle associative, toujours par
souci d’autonomie, afin d’éviter au jeune et à sa
famille, d’entretenir des liens de dépendance liés aux besoins
financiers.
En effet, l’intervention d’un tiers permet au jeune adulte d’être
en lien avec ses parents, différemment que lorsqu’il était
enfant ou adolescent. C’est la raison pour laquelle la tutelle a été
intégrée dans le projet d’établissement et dans le
livret d’accueil.
Il en est de même pour le contrat d’aide : on part du principe que
le jeune n’est pas obligé d’informer ses parents de son contenu
; ce contrat lui appartient en propre et cette appartenance reste en cohérence
avec son statut d’adulte et c’est à lui que revient le choix
d’en communiquer ou pas le contenu. Certains éprouvent le besoin
de le montrer à leurs parents, auquel cas, ces derniers ont la possibilité
d’y inscrire leurs observations, et d’autres choisissent de ne pas
le communiquer. Il appartient alors aux parents et aux professionnels de s’interroger
sur le sens de ce choix : peut-être le jeune veut-il préserver
son espace à lui ?
En revanche, les parents peuvent être informés de droit, dans le
cas où eux-mêmes sont tuteurs légaux de leur enfant.
IL ne faut cependant pas perdre de vue que le contrat d’aide reste un
outil éducatif, et qu’au delà du concret, il a également
une valeur symbolique.
C’est ce mode de travail qu’adoptent les professionnels, dans un
large domaine éducatif, afin de garantir à l’usager cet
espace personnel qui l’aide à mieux se différencier de sa
famille. Par exemple, le fait de faire des erreurs ou d’être absent
n’est pas répercuté au niveau de la famille ; l’absence
doit être justifiée par un certificat médical ou à
la suite d’une négociation avec le directeur, mais on estime qu’un
mot d’excuse des parents ne va pas dans le sens du statut d’adulte,
cette démarche appartenant au registre de l’enfance et de l’adolescence.
Sur ce point, une mère émet quelque réserve : « un
mot des parents non, mais prévenir le parent que le jeune est absent
peut parfois aider »
Vis à vis de cela, la position des professionnels est claire : les parents
sont informés quand leur enfant habitent encore sous leur toit, mais
si l’usager a un domicile différencié (foyer d’hébergement,
appartement etc.), on va respecter cette différenciation afin de ne pas
renforcer l’intervention des parents.
La psychologue resitue le débat : « je pense que tout le monde
a compris ce principe éducatif, après, peut - être que les
professionnels ont a se réinterroger sur ses modalités d’application
et modifier leur manière de procéder ? Peut - être manque
t-il une étape au début de la prise en charge qui semble trop
brutale pour les parents ? Le fait est qu’on énonce les principes
éducatifs dès la première prise de contact, bien avant
l’admission mais peut-être nous reste-t-il à envisager une
autre étape de rencontre avec les familles lorsque l’admission
est effective, afin d’expliquer les règles du jeu ? Cela n’entacherait
en rien le principe éducatif mais le clarifierait au contraire davantage
? Peut-être prenons-nous trop le contre-pied des institutions pour enfants
et adolescents, beaucoup plus protectrices ? Dans notre volonté de marquer
que l’on a affaire à des adultes, peut-être n’avons-nous
pas suffisamment mesuré la violence ressentie par les parents et que
nous devons réfléchir à la façon dont on pourrait
moduler davantage les choses ? »
Un père précise que l’inquiétude apparaît uniquement
au début de la prise en charge et surtout quand le jeune a du mal à
s’exprimer.
Une autre mère ajoute que même si le jeune s’exprime bien,
il se peut qu’il soit malgré tout limité dans la compréhension.
Enfin, un autre père confirme que beaucoup de freins ont été
levés après la rencontre avec les professionnels qui lui a permis
de mieux comprendre le sens de la prise en charge de son fils
« Il faut savoir ce que l’on veut, si on veut l’autonomie
ou pas » complète un autre parent qui affirme : « vous m’avez
fait mon éducation ; c’est vrai que je suis protecteur et ça
m’a permis de lâcher prise, c’est certain ! »
• Les activités annexes
En dehors de la prise en charge classique, l’organisation des sorties
le samedi, reçoit l’accueil favorable d’un père qui
y voit un accompagnement possible par les parents afin de permettre aux jeunes
de se retrouver entre eux, autour d’un verre, par exemple.
Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ?
A cette question, un éducateur répond : « ce qui est intéressant,
et c’est là notre rôle, c’est surtout d’amorcer
ce genre de sorties ; beaucoup ont du mal à sortir et restent enfermés
chez eux ; les éducateurs essayent d’éveiller l’envie
et de reproduire ces expériences ; ce n’est pas organiser des activités
à leur place mais de les aider à s’organiser pour faire
ce genre de démarche, après, une fois que c’est amorcé,
ça va. Etre tout le temps dans l’accompagnement, je pense que ce
n’est pas souhaitable. C’est important qu’on se batte pour
qu’il y ait un contenu pendant les week- end et les vacances, qu’il
y ait du lien, qu’ils fassent quelque chose, mais il faut d’abord
travailler la séparation d’avec la famille. »
« Oui » commente une mère « le risque c’est qu’ils
restent toujours dans l’attente qu’on organise quelque chose pour
eux. Au début, mon fils ne téléphonait jamais à
des copains, pourtant il était très content de les rencontrer.
Plusieurs fois, j’ai organisé des sorties, au bowling, avec les
copains qu’il voulait, et puis, petit à petit, il en a eu envie
et à ce moment là, je lui ai dit de prendre le téléphone
et de les appeler ; maintenant, au niveau de l’organisation de ses loisirs,
il est devenu autonome. »
Un père fait remarquer qu’effectivement, il faut amorcer au départ,
et que de lui-même son fils n’aurait jamais pu prendre cette initiative
et les parents s’accordent à dire qu’il faut leur donner
l’exemple, leur donner l’envie, leur montrer ce qui peut être
bien, mais organiser pour eux n’est pas souhaitable. « les parents
ne sont pas éternels, et il y aura un moment où ils vont se retrouver
confrontés à la vie, et plus ils peuvent être amenés
à faire confiance à d’autres personnes que leurs parents,
plus ils peuvent se rendre compte de leurs propres capacités et sortir
de notre giron, de notre responsabilité,pour ne plus communiquer qu’avec
nos mimiques, nos expressions de visage etc. »
Un autre père convient qu’il est important que son fils aille à
l’extérieur avec des copains et des copines plutôt que de
tourner en rond sans rien faire « mais est-ce que c’est à
Ad’Appro d’organiser ça ? ». Cependant, il constate
que tout cela dépend des capacités du jeune ; ici, il y a une
population très variée ; certains jeunes sont plus démunis
que d’autres et sont dans l’impossibilité d’organiser
quelque chose : « il faut les aider tout le temps et de plus, il ne faut
pas que ce soit de la routine ; il faut de la variété. »
Un éducateur n’est pas tout – à -fait d’accord
: oui, pour multiplier les sorties, oui pour la participation des parents, «
mais il faut que ce soit un étai et que cet étai puisse être
enlevé à un moment ou à un autre ; c’est important
même pour ceux qui sont plus en difficulté : il faut leur donner
l’initiative et les moyens pour le faire .Après, il faut savoir
se reculer, se retirer »
Une mère reconnaît qu’on peut vite tomber dans la routine
: mon fils s’était plu au bowling alors ils ont fait plusieurs
sorties au bowling. Puis ça a été le match de foot, et
petit à petit, il a pu faire, bowling, foot, puis cinéma et pourquoi
pas d’autres choses après, mais c’est vrai qu’au départ,
il faut leur montrer, leur donner l’idée, le goût. En fait,
on ne les connaît pas vraiment, il y a une partie qui est bien cachée
en eux et qui se révèle » .
Un autre parent reconnaît qu’il a été surpris quand
son fils lui a dit qu’il a pris le tram pour faire des courses ( !), puis
plus rassuré quand il a su que c’était avec un autre usager.
« ça s’est bien passé et s’il arrive à
se débrouiller, je suis content »
•
L’autonomie : un processus d’apprentissage
En s’appuyant sur ce dernier témoignage, la psychologue interroge
: et si vous en aviez été informé avant, cela vous aurez
rassuré ou inquiété ? »
Ce père reconnaît que la première fois, il aurait été
inquiet, et que face à une première expérience, les parents
sont très partagés « mais bon, maintenant il y a le portable
et ça c’est rassurant, s’ils savent s’en servir, parce
qu’au début, ça a été catastrophique ; maintenant,
quand il a un problème, il nous appelle »
Un éducateur met en évidence que « si les parents sont au
courant et inquiets de certaines démarches que l’on va faire, certains
parents peuvent générer de l’angoisse chez le jeune en lui
faisant passer leur inquiétude, que le jeune ne va pas avoir quand on
lui propose cette démarche. C’est pourquoi, quelquefois, on met
les parents devant le fait accompli »
Le directeur constate que peut-être les professionnels n’expliquent
pas assez leurs méthodes et donne un exemple : « pour l’apprentissage
des transports en bus, on repère d’abord le circuit en voiture,
puis on prend le bus plusieurs fois avec eux, après, l’éducateur
se cache dans le bus puis va ensuite le suivre en voiture. Donc il y a tout
un processus d’apprentissage.
Plus tard, des jeunes qui ont fait l’apprentissage du transport vont devenir
accompagnateurs pour d’autres jeunes moins efficients. Du même coup,
cette mission valorise les deux usagers.
Cela est fait parfois sans prévenir les parents ; le fait qu’on
ait pas peur et qu’on prenne des garanties, fait que le jeune se sent
autorisé, sans stress et se découvre des compétence, ce
qui pose en effet la question de ne pas tout dire à la famille. Mais
cela est possible parce que nous n’avons pas la même implication
émotionnelle et cela modifie énormément les choses. »
Un père témoigne : « mon fils ne prenait pas le bus ni le
train, ça fait 2ans et1/2 qu’il est ici. On a attendu 2 ans avec
l’aide de son éducateur pour qu’il prenne le bus, accompagné
par une stagiaire : l’apprentissage a duré une semaine ; on lui
a donné des repères ; cela nous a pris 2 ans. Maintenant, ça
fait 6 mois qu’il fait ça ; il va même acheter un journal
avant de venir à A d’appro. De temps en temps, il appelle à
la maison pour rassurer sa mère car c’est elle qui a eu surtout
beaucoup de craintes à le lâcher, qui avait une grosse appréhension
à le laisser tout seul. Il y avait déjà eu une première
approche avec les courses et les sorties, et maintenant, il est autonome, même
s’il est mécanisé sur ce trajet-là et qu’il
peut paniquer s’il y a un retard de bus ou quoi que ce soit. Cela nous
a allégés car avant, on l’amenait matins et soirs aller/retour.
Donc on peut penser que c’est à la portée de tous. »
Une mère commente : « le mien sait faire ça depuis longtemps,
mais une fois, il s’est trompé et à minuit, il n’y
avait plus de bus ; il m’a téléphoné pour que je
vienne le chercher ».
Le directeur fait remarquer que peut-être n’aurait-il pas fallu
aller le chercher car « nous aussi nous avons besoin d’un retour
des parents : il y a une progression à Ad’Appro et le décalage
avec les réponses familiales habituelles font qu’il peut y avoir
chez le jeune, une agressivité que vous ne lui connaissiez pas ; comme
il a été considéré pendant 20 ans comme un enfant
soumis, et qu’il devient autonome ici, il prend de l’assurance.
Donc, l’agressivité est très bon signe. Refuser ce qu’il
acceptait avant, signifie qu’il est en train de prendre son espace d’autonomisation,
et qu’il vous dit qu’il a ses espaces que vous êtes en train
d’empiéter. »
•
L’isolement des parents : quelles solutions ?
Pour revenir sur la question de l’organisation des loisirs, le directeur
retient deux propositions : une augmentation des activités annexes et
une participation des parents « nous essayons d’ouvrir sur d’autres
activités ( c’est pourquoi nous avons mis en place des sorties
en août dans le cadre du SAVS.) Mais nous n’avons pas les moyens
d’organiser des activités de manière systématique
et ce n’est peut-être pas notre mission. Mais peut-être y
a-t-il là des choses à créer entre parents ? Pourquoi ne
pas vous réunir entre vous pour organiser ces sorties ?pourquoi ne pas
utiliser la PCH pour employer un animateur qui aurait vocation de faire ces
accompagnements ?.
L’existence de l’association « GALA » est évoquée,
ainsi que le sport adapté mis en place à l’initiative des
parents (qui , avec le vieillissement et la lourdeur de gestion, risquent d’ailleurs
de se heurter à un problème de relais pour que les choses perdurent)
« mais ce serait nier qu’il y a entre jeunes, des phénomènes
d’affinité ; vous, on ne vous ferait pas sortir avec des gens avec
qui vous n’avez pas d’affinités. La limite est celle-là.
On bute aussi sur des questions matérielles : on n’a pas les coordonnées
de tout le monde » ce à quoi le directeur rappelle que le Conseil
de la Vie Social peut servir à ça.
Sont évoqués également la possibilité d’utiliser
le JSA qui est proche d’une ligne de tram ou d’ emprunter des bus
d’été qui, pour 2 € partent à Hostens, endroit
sécurisé et différent de l’océan. Une mère
suggère également l’organisation par les parents, d’activités
l’après-midi ou le soir.
De ce débat, le directeur fait le constat que les parents en général,
se trouvent très isolés : « je serait favorable pour que
les familles entre elles organisent des services le week-end ; cela répondrait
aux besoins du jeune et aux besoins des parents. Autant les professionnels défendent
l’espace Ad’Appro autant les autres espaces pourraient être
crées par les familles, car nous avons conscience de tout ce qu’il
manque et de tout ce qu’il reste à développer.
Le directeur voit également dans cette organisation, l’occasion
pour les parents de sortir de l’isolement face à ce qu’ils
croient être leurs propres questions alors que les professionnels constatent
que tous les parents ont les mêmes inquiétudes même si leurs
enfants ont des handicaps de degrés très différents. «
nous constatons la même inquiétude d’organisation, la même
lassitude, la même difficulté à pouvoir mettre vos problèmes
en commun ».
Une mère a alors l’idée de proposer d’utiliser l’espace
journal : « ce serait intéressant d’y voir la progression
de nos gamins, de mettre des témoignages, des expériences qu’on
a envie de faire partager aux autres parents qui sont effectivement très
isolés et qu’ils ne savent pas qu’il y a des possibilités.
Un père approuve cette nécessité de recréer un tissu
social.
Le directeur rajoute qu’il pourrait également avoir un partage
d’opinion par exemple à propos de l’existence des différents
camps adaptés ou de leur différente qualité d’accueil
. »Vous avez une grande place à prendre et que vous ne prenez pas
».
Toujours dans cette idée de tisser des liens entre parents, un père
suggère que les réunions de parents organisées par A d’appro,
pourrait -si c’est indiqué- pouvoir se faire par atelier, les parents
se parlant davantage, lorsque leurs enfants sont copains.
Une éducatrice s’ interroge sur le rôle que pourraient prendre
les professionnels dans cette mise en lien : « c’est peut-être
à nous de vous aider, au cours des soirées par exemple pour faire
se rencontrer les parents dont les enfants ont des liens entre eux. ».
Finalement, la psychologue souligne qu’il s’agit de savoir comment
et qui prend des initiatives pour se rencontrer ; en ce sens, la mise en place
de supports (manifestations festives, sport, réunions etc. peuvent être
des éléments facilitateurs. « Après, on peut penser
que les parents ont des prérogatives parfois lourdes avec leurs enfants
dans la vie quotidienne, et s’impliquer de façon bénévole
demande d’avoir encore une disponibilité que tous les parents n’ont
pas »
Un parent convient qu’il y a sans doute un équilibre à trouver
et qu’il n’est pas toujours possible de prendre des initiatives
dans ce domaine-là
Cependant, une mère nuance : « on n’est pas obligé
non plus de créer des choses spécifiques ; l’intégration
c’est bien aussi par exemple dans les clubs de judo ou de tennis de tables
etc. »
Le directeur insiste sur le fait que la participation des parents a pour objectif
de montrer qu’il ne s’agit pas d’une charge supplémentaire
mais de la préparation d’une décharge.
Cela demande de l’investissement au départ et après le projet
peut être soutenu et relayer par les professionnels qui eux aussi peuvent
dire de choses mais qui ne vaudra jamais le témoignage de parents. A
ce propos, le directeur rappelle l’existence d’un espace sur le
site
Ad’ Appro où il pourrait y avoir des témoignages de parents,
où ils pourraient exprimer leur colère leur souffrance, leur difficulté,
leur joie, et le fait de ne pas se retrouver seul peut être aidant ; donc
cette transmission est importante. Cela serait également un soutien pour
les futurs parents concernés par le problème du handicap de leur
enfant. Cela amènerait de la réassurance, et faciliterait davantage
leur accompagnement. Le manque d’information dans ce domaine est flagrant,
et les témoignages pourraient en rejoindre plein d’autres.
La psychologue rappelle qu’à l’origine, le handicap n’était
pas du tout pris en compte et qu’il a fallu que les parents se mobilisent
pour le faire reconnaître. Progressivement, on a commencé à
se préoccuper de l’éducation pour les enfants et les adolescents,
puis du travail pour les adultes, puis des loisirs etc. On constate encore aujourd’hui
de grandes carences au niveau des équipements et c’est souvent
grâce à l’initiative d’association de parents que les
pouvoir publics ont par la suite pris le relais. En attendant, parents comme
professionnels essaient de palier ces manques ( cf boom , sorties etc.).
•
Des exemples d’initiatives parentales
Outre le sport adapté déjà évoqué, une mère
rappelle la création en 1991 de Gest 21 pour favoriser l’intégration
des enfants atteints de trisomie 21 : « une dizaine de parents se sont
regroupés ; tous nos enfants étaient en classe d’intégration
; on a choisi le créneau qui était le mieux disposé à
être accepté par l’éducation nationale et ça
a été les classes au collège, une première au collège
Gérard Philippe à Pessac et ensuite Pablo Néruda à
Bègles,etc. Maintenant, c’est pris en charge par l’éducation
nationale : il y a des enfants trisomiques en lycée, Saint Vincent à
Bordeaux, à Blanquefort etc .Mais il a fallu que l’initiative viennent
des parents qui connaissent les besoins de leurs enfants, et grâce à
ça, il y a eu cette sensibilisation que ces enfants étaient capables
de …Les parents ont poussé à la roue pour que les enfants
soient acceptés dans le milieu ordinaire. C’est comme les auxiliaires
de vie scolaire (AVS), ça n’existait pas ; des associations de
parents se sont fédérées et ont crée l’accompagnement
avec des emplois jeunes. Cette expérience a duré 3 ans, ils ont
constaté que ça marchait bien, maintenant ça fonctionne.
Tout seul, on ne peut rien faire. »
La SAAB est également cité, mais là, il n’y a pas
eu de relais et les subventions sont ridicules : « ce n’est pas
porteur ! pourtant, pour les jeunes, les championnats sont très gratifiants
».
Un père exprime sa satisfaction sur le constat d’autonomie : «
grâce à l’autonomie, il use de petits espaces de liberté
ex : aller boire un chocolat chez sa tante, acheter un journal à la station
Chaban Delmas, alors qu’on le croit à Gavignès… Mais
j’aimerais bien savoir jusqu’où il va ! »
Le directeur explique qu’on ne peut répondre à cette question
: « parfois, même si nous ne le voulons pas, le jeune nous l’impose,
car il voit les autres usagers autonomes, et ça crée des envies.
On a vu certains jeunes que l’on ne croyait pas prêts s’en
aller avec les autres, prendre le bus et faire tout un trajet. On s’est
rendu compte après coup qu’il était autonome. Donc,à
nous aussi quelquefois , cette envie d’autonomie peut nous échapper
: ils se la passent entre eux. »
CONCLUSION
Le
directeur souhaite que ces réunions puissent avoir des répercussions
au cours d’entretiens avec les éducateurs, la psychologue ou lui-même,
afin de poursuivre ces réflexions.
Il rappelle que l’aide des parents est essentielle dans le projet du jeune
car si parents et professionnels ne vont pas dans le même sens, nous ne
pourrons pas aller très loin, et le jeune va se trouver en contradiction.
En revanche, les parents peuvent devenir très aidants en accompagnant
le jeune et en faisant confiance. « Pour que le jeune puisse réussir
son projet.
un travail avec vous est indispensable, que ce soit sur vos peurs à maîtriser
, ou que vous trouviez que les choses vont trop vite, , vous pouvez nous interpeller
et nous sommes en mesure de vous entendre, mais de toute façon, on ne
peut pas faire sans prendre des risques.
La vie, c’est un risque. »
Le directeur remercie les parents d’être venus et rappelle que d’autres
réunions auront lieu sur d’autres thèmes.
Rapporteur : Carole Stellvagen